Soizic :
Moi je veux bien qu'on me dise que je suis folle. ça ne me dérange pas. Je suis folle, le le sais. Mais parfois j'aimerais bien que quelqu'un me dise ce que c'est exactement être fou. ça m'aiderait de l'entendre. Parce qu'il m'arrive de me dire que ce n'est pas si grave. Finalement. Ce n'est pas si grave. C'est simplement aller au bout. Là où les autres s'arrêtent, nous on continue. Tu vois ? On est sans limite. Alors je me dis peut-être, c'est tout simplement être soi-même, vraiment. Un courage supplémentaire peut-être. Tout simplement. Et peut-être que si tout le monde avait le courage d'être soi-même vraiment une fois dans sa vie, alors peut-être, je dis bien peut-être, qu'il n'y aurait plus de fou. Dans le sens où on serait tous fous. Peut-être.

Antoine :
On dit : être fou, c'est mal. Le dire c'est mal, le penser c'est bien. Être fou, c'est mal. Ah bon ? J'ai fait quelque chose de mal, moi ? Être fou, non, c'est comme être un chien, ou être une pierre, ou être un sèche-linge. Le sèche-linge, personne trouve ça mal qu'il soit un sèche-linge. La différence c'est que nous, on sait qu'on est des sèche-linge.

Ketty :
Les crises, les hallucinations, les voix qu'on entend, tout ça, c'est simplement pour se rassurer. Une manière de lutter contre les résistances du monde. Des armes qu'on fabrique pour résister. Mais pourquoi les gens s'acharnent-ils à nous démontrer qu'on a tort ? On ne devrait pas avoir à lutter. Si les gens acceptaient, on n'aurait pas besoin de lutter. Parce que cette lutte c'est une souffrance pour nous, faut pas croire.

Les autres :
Oui.

Ketty :
C'est une souffrance. On ne demande qu'une chose, c'est que ça s'arrête.

Les autres :
Oui.

Ketty :
Parce qu'on en a marre d'être seuls. Et puis merde, on est pas des pyromanes. On ne met pas le feu aux voitures. Alors les gens feraient mieux de jeter un oeil dans leur soupe. Parce quand ça tombe, ça tombe. Ça demande pas. Et ça peut tomber sur n'importe qui. On n'a pas choisi, d'accord ? De quoi ils ont peur ? Qu'on égorge leurs gosses ? Qu'est-ce qu'ils veulent ? Nous raser ? Et allez hop un petit remontant quand ça va pas. Ils ne savent faire que ça, nous remonter. On est pas des pendules.
 
Extrait de Abilifaie Léponaix, de Jean-Christophe Dollé.

J'ai chipé cette pièce de théâtre dans la chambre de ma petite soeur, hier après-midi. J'avais lu le résumé, et le sujet m'avait intéressé. La pièce parle de 4 schizophrènes et elle est inspirées de témoignages réels recueillis par une psychologue. Je l'ai lu en moins d'une heure. Elle traite très finement et avec humour mais sans caricatures du sujet de la folie. J'ai adoré le prologue que j'ai cité au-dessus, en comparaison, le reste de la pièce m'a un peu déçue mais dans l'ensemble, c'est vraiment touchant. Je crois que le sujet de la folie m'intéresse beaucoup ces temps-ci, parce que j'ai lu un autre roman sur le sujet cette semaine. Je crois que cela s'explique facilement par mon expérience nouvelle des crises de paniques récurrentes.  Je trouve cela à double tranchant, de perdre le contrôle : ça fait drôlement peur, mais c'est tellement inexplicable que c'est un peu fascinant. Je trouve que cette pièce parle bien de ça, et de l'isolement aussi. Il y a un passage qui me touche particulièrement moi la fumeuse angoissée, je l'ai noté , plutôt que dans cette article parce que je trouve que j'en ait déjà beaucoup révélé.

L'autre roman c'est : A ta place, de Karine Reysset.
Il est un peu plus noir et dérangeant. Je saurais pas résumer. C'est l'histoire de la relation très fortes entre deux femmes dont l'une est devenue schizophrène. Il est un peu dur. Il est par contre très bien écrit et je l'ai lu très vite. Je ne suis pas sûre de me rappeler très longtemps de ce roman mais sa lecture n'est pas désagréable et je me suis beaucoup identifiée aux deux femmes, autant à l'une qu'à l'autre et c'était déroutant.